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Une histoire technologique du THALYS

Cet article doit énormément à Christophe Révillot, qui l'a entièrement relu, corrigé et augmenté, et que je remercie ici très chaleureusement.

Digne successeur du mythique Trans Europ Express (TEE) depuis fin 1995, héritier de 40 ans de recherche en traction électrique polycourant et de 15 ans de recherche en Grande Vitesse, le Thalys n'est rien moins qu'une pure merveille technologique. Il reste encore pour un temps l'une des machines les plus rapides, sûres, confortables... et belles, que l'homme ait jamais produites pour rejoindre ses collègues ou ses amis à travers l'Europe.
Ce petit texte - j'espère - va vous faire voir le Thalys, avec vos yeux d'adultes, plus merveilleux que vos yeux d'enfants n'imaginaient seulement l'Enterprise, plus prodigieux encore que vous ne conceviez alors l'Eagle One, et de nos jours... tout aussi fantastique que la Space Shuttle !

Ce texte correspond au document que j'ai rêvé de découvrir pendant 20 ans, et comme j'en suis arrivée à la conclusion qu'il n'existait pas, je l'ai créé moi-même, à partir de dizaines de documents en ligne dont j'ai fait une synthèse. La vulgarisation technologique étant encore peu développée en France, je souhaite que ce document, à ma connaissance sans équivalent pour l'instant, fasse plaisir à ceux qui, comme moi, l'auraient attendu pendant toutes ces années.

Merci de bien vouloir citer "isabellesaillot.net/thalys.htm" si vous utilisez une partie de ce texte.


Le Thalys, une machine d'exception...

Les innovations majeures qui qualifient le Thalys tiennent d'une part à la spécificité de son trajet nordique, d'autre part à la recherche industrielle dans le domaine de l'électrotechnique et des TGV.

Train international, le Thalys devait surmonter les (dés-)accords politiques et commerciaux européens qui avaient maintenu ses prédécesseurs à une vitesse de 160 km/h alors que la technologie permettait 240 km/h dès 1975 et 270 km/h dès 1982. Le Thalys y a réussi le premier.

Train international, le Thalys devait surmonter l'obstacle technologique de tensions caténaires différentes dans chaque pays. France  : 1 500 V continu et 25 000 V alternatif, Belgique : 3 000 V continu, Hollande : 1 500 V continu, Allemagne : 16 000 V alternatif. Ses prédécesseurs avaient échoué à l'examen : la belle CC 40100 SNCF, avec sa technologie trop complexe pour être fiable, tombait constamment en panne. La série 15 belge, quant à elle, a rendu ses billes devant le poids croissant des rames qu'elle avait à tracter. Le Thalys a réussi le premier.

Train international, le Thalys devait surmonter l'obstacle technologique de systèmes de signalisation embarqués différents dans chaque pays. Ses prédécesseurs avaient échoué in extremis quand la Hollande a changé son système en 1994. Le Thalys a réussi le premier.

TGV pure souche, le Thalys adoptait la fameuse structure de "rame articulée" qui avait constitué la "révolution TGV" avec le PSE. Les experts s'accordent pour penser que c'est cette structure, unique au monde, qui confère aux TGV leur fiabilité inégalée en déraillement à grande vitesse, comme les comparaisons d'accidents ont pu le montrer avec l'ICE, qui hélas ne bénéficie pas de la même conception. Le TGV ne déplore absolument aucune victime parmi les passagers, en 20 ans, lors des (rares) accidents qui sont survenus à grande vitesse (> 250 km/h).

TGV 2ème génération, le Thalys embarquait la dernière chaîne de traction directement issue de la recherche de pointe en électronique de puissance et en électrotechnique, déjà validée sur les TGV-A ("Atlantique") et TGVR ("Réseau"). À 300 km/h , le Thalys se balade. Aucune modification machine ne serait nécessaire à ce que sa vitesse commerciale soit de 350 km/h, comme l'ICE allemand sur certains de ses tronçons. Récemment, toutes les motrices Thalys ont déjà été upgradées pour 320km/h, mais les normes européennes n'ont pas encore suivi pour sa vitesse commerciale.

Plus rapide, plus fiable, plus fréquent et bien moins cher que le mythique TEE, hélas le Thalys ne jouit hélas nullement de l'incroyable prestige de son prédécesseur, qui était devenu légendaire sur des critères en tous points dépassés par nos nouvelles machines (et services commerciaux). De nos jours, les gens ont du mal à s'enthousiasmer !!

... pour des ancêtres d'exception

Fantastique machine, le Thalys n'est pas sorti tout armé de la cuisse d'Alstom, bien au contraire, il doit beaucoup à ses prédécesseurs. Il n'a pas moins de cinq lignées d'ancêtres, tous plus prestigieux les uns que les autres, bien évidemment !

1 ) Sur le plan politique et commercial, il est le descendant direct et le remplaçant d'un des plus fameux trains du monde, le TEE, qui incarna pendant 4 décennies le summum de rapidité, de confort et de luxe des voyages ferroviaires internationaux. Le Thalys lui doit bien entendu son trajet nordique, et, moins connu, sa fameuse couleur rouge et grise.

Rien que sur le plan technologique, le Thalys n'a pas moins de trois lignées d'ancêtres à lui tout seul, une pour la configuration polytension, une pour la chaîne de traction, et une autre pour la structure de rame.

2 ) Pour la configuration polytension, il descend, par l'intermédiaire du TGV R, des rares motrices européennes ayant déjà eu cette configuration, donc en particulier celles affectées à la ligne TEE, des années 60 aux années 90. Le Thalys n'a pas de concurrent dans la technologie polytension, qui est parfaitement maîtrisée.

3 ) Pour la chaîne de traction, il reprend celle du TGV A qui venait juste de supplanter l'architecture 1ère génération des fameux TGV PSE (Paris-Sud-Est), de couleur initialement orange. Fleuron de la technologie des années 90, issue de 50 ans de recherches mondiales, c'est pourtant l'aspect qui périmera le Thalys en premier, car cette chaîne de traction sera abandonnée sur les futurs matériels.

4 ) Pour la structure de rame, et par l'intermédiaire des autres TGV l'ayant précédé, le Thalys reprend le concept d’un seul bogie pour deux voitures : c’est l’architecture de rame articulée. De plus, il y a deux motrices, l’une en tête l’autre en queue, c’est l’architecture d’automotrice. Inspiré également de la rame RTG (le "Turbotrain") à partir de laquelle fut d’ailleurs lancé le programme de recherche TGV dans les années 60, l’ensemble de ces recherches allait déboucher sur le TGV-001 (jamais commercialisé) et le TGV PSE. Cette structure de rame est reconnue comme la plus performante au monde actuellement.

5 ) Et enfin pour le design, le 1er Thalys est un TGVR rénové, mais le 2ème est doté de la motrice dessinée pour le Duplex, qui donne son "look" aux TGV POS (Paris-Ost-Süddeutschland), actuellement en phase de validation, qui circuleront sur la LGV Est (Ligne à Grande Vitesse) dès juin 2007. L'AGV, le TGV 4ème génération actuellement en test avec son prototype "Elisa", proposera une évolution sensible du design Thalys / Duplex, dans 5 ans.

À partir de 2010, les TGV 4G, c'est-à-dire les AGV, à thyristors IGBT, à moteurs nouveaux et rames duplex à traction distribuée, qui évolueront paresseusement à 350km/h, encore bridées pour un temps de leurs 500km/h naturels par les contraintes commerciales survivantes, relègueront sérieusement le Thalys à l'état de fossile, même s'il pourrait encore bien dignement tenir tête à ses fiers descendants... mais, voilà, il n'en est encore rien pour l'instant. Profitons-en donc et entrons un peu dans le détail de cette machine fascinante qui restera définitivement dans l'histoire !

La chaîne de traction du Thalys...
Petite relation d'un conte technologique merveilleux

La chaîne de traction des Thalys embarque une technologie si belle, si ingénieuse, si puissante et efficace, que les ingénieurs des années 70 se seraient damnés pour la découvrir. Quant aux ingénieurs des début du TEE, vers 1950, ils auraient carrément pris cette incroyable machine pour un cadeau extra-terrestre d'une civilisation avancée. Ces ingénieurs sont nos parents et nos grands-parents, pas plus, il est donc encore facile pour nous qui leur sommes si proches de nous émerveiller avec eux ou à leur place de ces merveilles qui fleurissent si humblement dans nos gares, n'attirant même plus le regard de nos contemporains blasés, si prompts à se plaindre de tout, pourtant plongés au cœur des rêves bel et bien concrétisés de leurs parents.

Des années 1920 au TGV PSE, ou TGV 1G, presque toutes les motrices électriques de l'histoire avaient utilisé la même chaîne de traction, constituée de moteurs à courant continu (ou "moteurs série"). Comme leur nom l'indique, ces moteurs doivent être alimentés en courant continu, et pas en courant alternatif. Au contraire, les moteurs qui utilisent le courant alternatif sont plus simples à fabriquer et à entretenir que les moteurs série, ils ont aussi un meilleur rendement, et en plus on savait les fabriquer depuis la fin de la guerre. Pourquoi donc a-t-on équipé nos motrices en moteurs série ? Et bien parce qu'on se savait pas faire varier l'alimentation des moteurs à courant alternatif, ce qui évidemment est assez embêtant.

En effet, un moteur de traction n'est pas une pompe ou un monte charge, il doit permettre une utilisation à vitesse variable. Ces moteurs doivent donc être alimentés par un dispositif réglable, un variateur de vitesse. Jusqu'aux années 50, la seule technologie disponible pour la fonction de variateur en courant alternatif était le bloc tournant ou la cuve à mercure, des dispositifs trop lourds et encombrants pour être embarqués sur une motrice. En raison de cette limitation en amont des moteurs, les moteurs alternatifs furent abandonnés et on opta pour des moteurs série, plus faciles à alimenter en variation de vitesse. Les moteurs série qu'on savait fabriquer à l'époque utilisaient du 1500 V continu. La France opta pour le 1500 V, la Belgique pour le 3000 V, un multiple qui permet de mettre les moteurs en série. Comme le courant est produit par des alternateurs, il sort alternatif des centrales : tout le réseau caténaire dut être équipé en stations de redresseurs alternatif - continu, ce qui est fort coûteux à la pose comme à l'entretien.

A l'entrée du moteur série, le variateur de vitesse est alors soit un rhéostat, si la tension caténaire est continue, soit  un transformateur, si elle est alternative (les machines bitension embarquaient les deux). Un curseur, commandé en cabine par l’intermédiaire du manipulateur de traction, se déplace sur le bobinage du rhéostat, ou sur l’enroulement du secondaire du transformateur (cette pièce est le graduateur). La tension de sortie est proportionnelle à la position du curseur sur le bobinage : le moteur accélère ou ralentit selon le déplacement du curseur. Les deux inconvénients majeurs de ces variateurs mécaniques tiennent à leur nature même : forte dissipation d'énergie, et, ce qui est lié, danger d'incendie s'ils chauffent trop au démarrage. Tenter de supprimer ce rhéostat mécanique sera la première étape de l'aventure TGV, en ce qui concerne sa chaîne de traction.

L'ancêtre lointain du Thalys avait donc pour formule :

Variateur de vitesse
Moteur
Collecteur
Extinction des thyristors
Rame
Traction
Rhéostat ou graduateur
Série
Mécanique
---
Classique
Concentrée

En 1981, la SNCF produit un événement mondial. Une machine de science fiction sort de l'ombre. A mi-chemin entre un avion de chasse, un sous-marin nucléaire et un Turbotrain, le premier TGV européen prend les rails sur une nouvelle ligne construite rien que pour lui, entre Paris et Lyon. Fier comme Artaban dans sa livrée orange fluo, il chauffe la voie à 270 km/h à travers toute la France. Lyon est à deux heures. A bord, pas une vibration, pas un bruit de roulement. On n'entend que la ventilation de la clim. Et pour cause, il est doté d'une structure de rame inédite au monde, inégalée jusqu'à ce jour, le bogie unique partagé pour deux voitures : c'est la "révolution TGV" qu'elle amorce.

Sa chaîne de traction apporte aussi un progrès irréversible. Le TGV 1G reprend des moteurs série, car on était toujours bloqué par la technologie des variateurs des moteurs alternatifs, mais il va faire effectuer un bond historique à la traction électrique : reprenant les principes du schéma électronique tout récemment testé sur une autre motrice, la BB 22200, le TGV PSE introduit pour la première fois en technologie Grande Vitesse une des plus fabuleuses inventions de la fin du 20ème siècle qui vient alors tout juste d'entrer en phase commerciale, le thyristor. Le thyristor va permettre au TGV 1G de s'affranchir de 70 ans de rhéostat : la variation de traction devient, enfin, tout électronique.

Le Thyristor

Le thyristor est le composant électronique de puissance réalisant la fonction de diode commandée. De ce fait, il reprend le symbole électronique de la diode auquel on a ajouté une petite patte, son troisième pôle, la gâchette. Il est utilisé en interrupteur dans des circuits en ponts, qui remplacent les anciens ponts à diodes. On le rencontre dans les fonctions de convertisseur (hacheur et onduleur) et de redresseur.
Les premiers thyristors, ceux du TGV PSE, ne pouvaient pas être éteints par intervention sur la gâchette : il fallait utiliser un circuit d'extinction supplémentaire. Ce genre de circuit, à l’époque, est prohibitif en coût et en complexité, et retardera d’autant la fabrication des onduleurs, les variateurs de vitesse des moteurs à courant alternatif. Ces thyristors sans commande d’extinction sont toutefois déjà utilisés à la confection de ponts redresseurs, puisque étant alors alimentés en courant alternatif, ils s’éteignent tout seuls à chaque inversion périodique du courant.
Les premiers thyristors ont rapidement été supplantés par les thyristors GTO (Gate Turn Off), dont l'extinction est enfin assurée par la gâchette. Ils équipent les hacheurs des TGV A dès leur sortie en 88. C'est l'apparition des thyristors GTO qui a permis la "généralisation TGV" en simplifiant grandement la construction des onduleurs, lesquels ont généralisé les chaînes de traction à moteurs synchrones puis asynchrones.
Le GTO est maintenant abandonné au profit de l'IGBT (Insulated Gate Bipolar Transistor) qui représente la version miniaturisée du GTO, ce qui en fait l'équivalent d'un transistor de puissance. Il permet la réalisation d'onduleurs très compacts et rendra possible à lui tout seul la 4ème génération de TGV à traction distribuée.

Après son record mondial de 380km/h en 1981, le TGV PSE est modéré à 270 km/h de vitesse commerciale, à laquelle il se balade distraitement. En 1999-2000, toutes les motrices PSE seront d'ailleurs upgradées en un tour de main pour 300 km/h, afin d'aligner leur vitesse sur celles des nouveaux TGV 2G (à noter au passage qu'elle seront également repeintes en bleu et gris, plus à la mode que leur orange pétant typique années 70 !).

Sur le moteur série, les pôles du stator et du rotor sont bobinés. Le tout est alimenté en courant continu par un hacheur à thyristors, qui constitue le variateur de vitesse. Comme son nom l'indique, le hacheur hache la tension : il transforme une ligne continue en "pointillés". Par son manipulateur de traction en cabine, l'opérateur commande l’extinction des thyristors, c'est à dire leur durée d’allumage. Ce faisant, il règle l'espacement et la largeur des "pointillés" de la tension, donc directement la puissance d'alimentation du moteur série. Le tour est joué ! On peut accélérer le moteur de façon intégralement électronique. Le rhéostat a vécu, le thyristor emportera tous les marchés.

Le moteur série

Les moteurs électriques utilisent le principe que deux aimants se repoussent s’ils sont de même polarité, et s’attirent s’ils sont de polarité opposée. Ils sont constitués d'une partie fixe, le stator, qui permet de les fixer aux bogies, et d'une partie tournante interne, le rotor. Les pôles sont soit des aimants soit des bobines de fil (un fil électrique parcouru par un courant génère un champ magnétique comme un aimant). Dans une bobine, il suffit d’inverser le sens du courant pour inverser le sens du champ magnétique.

Le hacheur à thyristors devient alors l'arme absolue pour alimenter la chaîne de traction des TGV flambant neufs, et le couple hacheur - moteur série conforte sa position de modèle universel de chaîne électrotechnique d'entraînement variable pendant 15 ans, de la traction ferroviaire au ventilateur industriel.


L'ancêtre direct du Thalys avait donc pour formule :
Variateur de vitesse
Moteur
Collecteur
Extinction des thyristors
Rame
Traction
Hacheur à thyristors
Série
Mécanique
---
Articulée
Concentrée

Le TGV PSE avait lancé la révolution TGV grâce à sa rame articulée, mais son hacheur à thyristor n'était pas encore suffisant pour faire un Thalys. En effet, tout moteur série, même celui du TGV, comportait un terrible talon d'Achille, son collecteur mécanique.

Le collecteur

Dans un moteur série, les pôles du stator sont câblés de sorte que chacun est l’inverse du suivant, tandis que les pôles du rotor sont de même polarité. Pour que le rotor tourne, chacun de ses pôles doit présenter la même polarité que celui du stator qu’il a en face : ainsi, ils se repoussent bien, le pôle suivant au contraire l’attire et le rotor tourne. Comme, par construction, les pôles du stator sont alternés et les pôles du rotor identiques, les pôles du rotor doivent tous s’inverser pendant la rotation, à la même fréquence qu’ils arrivent en face du pôle suivant du stator. L’inversion des pôles du rotor en pleine rotation est le rôle du collecteur. Constitué d’un tambour à barres de cuivre fixé sur l’axe du rotor, il reçoit le courant continu grâce à des frotteurs fixes, les balais. Les connexions aux bobines d’induit sont câblées de manière à ce que les barres de cuivre leur distribuent le courant de façon convenable durant la rotation. Le collecteur envoie des centaines d'ampères aux balais, qui commutent les phases du rotor en pleine vitesse. Cette pièce vient se coupler au moteur proprement dit, elle en augmente donc le volume et le poids. De plus, quand le moteur tourne à haut régime, elle génère des perturbations électromagnétiques, des défauts de masse et parfois des arcs électriques (étincelles), qui tous sont dangereux pour le reste du circuit.

Les défauts de masse à haut régime du collecteur, entre les balais et le rotor, sont à l'origine de la plupart des pannes des moteurs de traction série. Tenter de s'affranchir du collecteur mécanique sera la deuxième étape de l'aventure de la chaîne de traction du TGV.

Pendant que le PSE reliait quotidiennement Paris à Lyon en 2 heures avec ses 12 moteurs série, la recherche continuait donc, opiniâtrement, sur les variateurs de vitesse des moteurs alternatifs, les moteurs synchrones et asynchrones, car seuls les moteurs à courant alternatif pouvaient permettre de s'affranchir définitivement du système mécanique collecteur et balais, outre toutes leurs meilleures caractéristiques électrotechniques que les moteurs série.

Au début des années 80, la SNCF avait fait modifier la BB 15055 en BB 10004 puis les BB 22379 et 22380 alors en construction, en BB 20011 (1985) et 20012 (1986). La BB 26000 sort des chaînes d’Alstom en 1988 et la rame 88 du TGV PSE sera modifiée en même temps. La même année, Alsthom et la SNCF dévoilent un nouveau TGV, tout repeint de bleu et de gris, le TGV Atlantique. Il étend à la Grande Vitesse les innovations apportées par les motrices précédentes. Dans ses organes, la pierre philosophale de la traction du futur : la plus ancienne technologie ferroviaire électrique mondiale, les moteurs série, venait de disparaître. Le TGV A, 2ème génération, est tracté par 8 moteurs synchrones autopilotés, des moteurs plus simples, plus efficaces, plus puissants, plus petits et plus légers que les moteurs série du PSE. 

Moteur synchrone autopiloté

Dans les stator et rotor d’un moteur synchrone, il y a trois aimants disposés à 120° les uns des autres : ce sont les phases du moteur. Il y a trois phases donc le moteur est triphasé. Pour faire tourner le rotor, on envoie un courant dans un aimant du stator : l'aimant du rotor situé en face est repoussé, attiré par le deuxième aimant du stator et fait tourner le rotor. Le deuxième aimant du stator et celui du rotor arrivent à leur tour face à face. Alors on renouvelle l'opération sur l'aimant 2, on dit qu'on commute la phase. Puis on recommence sur l'aimant 3, de sorte que le rotor est continuellement "repoussé" par l’aimant en vis-à-vis et attiré par le suivant : le moteur accélère. En fonction de la vitesse du train, il y a 100 à 10000 commutations par seconde. Les phases du rotor sont commutées par commande électronique exactement au rythme des phases du stator, il n'y a pas de retard, le moteur est synchrone. Pour que les phases du rotor et du stator soient exactement simultanées, on détermine la position du rotor d’abord par des capteurs puis par des mesures électroniques du courant : dès que deux aimants arrivent en face, la phase suivante se commute automatiquement. Comme l’électronique qui commande la commutation est indépendante et associée à son moteur, celui-ci est dit "autopiloté".

 Comment était-ce possible ?

Le variateur de vitesse idéal des moteurs triphasés, rêvé par des générations d'ingénieurs, venait d'être validé. Le collecteur mécanique avait vécu. L'onduleur à thyristors entrait en scène : il réalisait le "collecteur électronique".

L'onduleur, commande des moteurs triphasés

Sur le moteur série, le collecteur avait pour fonction de commuter mécaniquement les phases du stator, à la fréquence de celles du rotor. L’onduleur réalise enfin cette fonction de façon électronique. L'onduleur des TGV est un pont à 3 bras muni chacun d'un thyristor, alimenté en courant continu en sortie du redresseur. Chacun des trois bras du pont, donc chaque thyristor, commute une phase sur le stator du moteur triphasé. Pour ce faire, l’onduleur doit avoir deux bras passants : l’un en alimentation d’une phase, l’autre qui laisse partir le courant par une autre phase. Cependant il y a un petit détail... qui tue : quand une phase est commutée, la phase précédente doit être éteinte ! Restait encore à savoir quand et comment commander cette extinction, pour commuter les 3 phases au bon moment. Au démarrage, un capteur permet l’acquisition de la position du rotor par rapport au stator. En fonction de cette position, les condensateurs d’assistance à la commutation, commandés par thyristors, inversent l’allumage des ponts de l’onduleur (commutation assistée) : la fréquence de l'onduleur est imposée par la vitesse en sortie du moteur lui-même. Dès que le moteur tourne à 3 % de sa vitesse maximale, on se passe du capteur et ce sont les courants induits qui éteignent les thyristors : le moteur fonctionne alors en commutation naturelle et ne demande plus pour accélérer qu’un apport de courant.

La SNCF engage un programme massif d'électrification simple et légère en sortie directe des centrales nucléaires, le 25 000 V monophasé. En 1990, le TGV A monte à 515 km/h, lesté pour ne pas qu'il s'envole (l'Airbus A 380 décolle à 300 km/h). À sa vitesse commerciale ultérieure de 300 km/h, il s'ennuie mortellement, et la LGV avec. Peu de temps après apparaît le TGV R, par adjonction au TGV A d'une troisième tension.

En 1995, 17 TGVR sont requalifiés : repeints rouge-gris et transférés sur la mythique ligne TEE, le premier Thalys vient de sortir !

Le Thalys a donc pour formule :

Variateur de vitesse
Moteur
Collecteur
Extinction des thyristors
Rame
Traction
Onduleur à GTO
Synchrone
Electronique
Autopilotée
Articulée
Concentrée

Reliant Paris à Bruxelles en 2H05 à 300km/h jusqu'à la frontière belge, record historique, le Thalys incarne ce que la ligne TEE n'aurait même pas pu rêver en confort, rapidité et tarifs. Il prend le nom de "PBA" car il dessert Paris, Bruxelles et Amsterdam. L'histoire s'accélère, deux ans plus tard, la SNCF met en service la rame "PBKA" au design innovant, qu'elle partage avec le tout nouveau Duplex affecté à la liaison Paris-Marseille. Cette nouvelle rame dessert Paris, Bruxelles, Köln (Cologne) et Amsterdam. On lui a ajouté une quatrième tension, celle de l'Allemagne. La même année, la Belgique ouvre sa LGV, de la frontière à Bruxelles. Nouveau record historique lourd de conséquence : Bruxelles est ramené à 1H25 de Paris ! Air France abdique sous ce dernier coup fatal, toutes les dessertes aériennes entre les deux villes sont supprimées en 2000.

Mais une tout autre histoire était aussi en marche, celle du progrès technologique inexorable. En 1993 avait eu lieu en grande pompe le départ du premier TMST (Trans-Manche-Super-Train), mieux connu sous son nom commercial d'Eurostar. C'était déjà le TGV 3G, de 3ème génération. Il avait l'onduleur du Thalys et sa traction concentrée sur les motrices avant et arrière, mais ses moteurs n'étaient plus synchrones autopilotés, ils étaient de la technologie asynchrone. Plus simple, plus fiable, moins lourde et moins chère, la technologie asynchrone supplantera progressivement et irréversiblement la méthode synchrone, sur toutes les applications de traction et d'entraînement. S'affranchir de la complexité du moteur synchrone est l'étape suivante de l'aventure TGV, une étape qui bientôt, laissera le Thalys sur le bas-côté...

Le Queen Mary II a des moteurs asynchrones, tous les tramways de ville récents et à venir, chez Alstom, ont des moteurs asynchrones, pilotés par onduleur à thyristors ONIX IGBT... Pourquoi ?

Contrairement à celui du moteur synchrone, le rotor du moteur asynchrone est une simple cage métallique. Il ne doit donc pas être alimenté en courant. Le moteur asynchrone est donc plus simple à construire, plus léger, encore plus fiable et moins cher. Par contre, un rotor à aimant permanent a toujours un léger retard sur le champ magnétique du stator qui le fait tourner, le rotor et le stator ne sont pas en phase : approchez deux aimants à la main, le deuxième se pousse mais pas instantanément, il est "asynchrone" ! De ce fait, l'extinction des thyristors de l'onduleur ne peut plus être pilotée directement par la mesure électronique de position du rotor grâce aux courants induits : il faut lui adjoindre un circuit d'extinction par condensateurs. L'utilisation du moteur asynchrone répond donc au souhait de privilégier entièrement la simplicité du moteur lui-même. Or, quand Alstom apprivoise l'onduleur de traction en 1988, le choix est déjà possible de lui adjoindre des moteurs synchrones ou asynchrones. Si ces derniers ont été écartés à l'époque, c'est parce le circuit d'extinction des thyristors était complexe à réaliser : l'autopilotage du moteur synchrone simplifiait grandement le schéma électrique. En effet, avant l’avènement des GTO, les moteurs asynchrones nécessitaient un plus grand nombre de condensateurs d’extinction qu’un moteur synchrone, et comme de plus les forces contre-électromotrices sont trop faibles pour commuter les phases, le moteur ne peut fonctionner qu’en régime de commutation forcée, grâce à ses capteurs de position rotorique. La généralisation des thyristors GTO permettra d’éliminer les condensateurs d’extinction et leurs dispositifs de contrôle de charge, et autorisera de fait la construction d’appareillages plus compacts et plus légers. La vague IGBT est déjà en train de supplanter cette première solution, et de généraliser la technologie asynchrone.

D'une certaine façon, le Thalys était donc technologiquement dépassé presque à sa naissance. Lancé commercialement quand les premières chaînes asynchrones voyaient le jour, il a dû sa brève et brillante vie au délai que mettent les technologies pour passer du labo à la gare. Entre-temps le Thalys PBKA n'a pas seulement été rebaptisé POS. On lui a aussi retiré ses moteurs synchrones et ses thyristors GTO (remplacées par des IGBT). Les thyristors GTO, qu'on pourrait qualifier d'historiques car c'est à eux qu'est due la généralisation TGV sur les grandes lignes d'Europe et du Japon, ne sont déjà plus qu'un souvenir, les IGBT étant la version miniaturisée des GTO. Sous son nouveau nom, il arpente l'Europe de l'Est en technologie asynchrone. Le futur est en route, et la technologie Thalys déjà sur sa fin, sans regret....

Le POS a la même formule que le TMST (hors thyristors), à savoir :

Variateur de vitesse
Moteur
Collecteur
Extinction des thyristors
Rame
Traction
Onduleur à IGBT
Asynchrone
Sans
Commandée
Articulée
Concentrée

Quant à l'AGV, Automotrice Grande Vitesse, le TGV 4G déjà vendu par Alstom à l'Italie (encore en phase de test en ce début 2009), il utilise un nouveau design et deux nouvelles technologies de traction. En design, il s'inspire du Thalys PBKA, en plus élancé. La traction quant à elle est - pour la première fois chez Alstom - distribuée (ou "répartie") sur toute la longueur de la rame, vidant la motrice de ses organes, laquelle peut recevoir des passagers, comme sur les Shinkansen japonais et l'ICE 3. Intéressant revirement historique : il renoue avec des moteurs synchrones, mais cette fois à aimants permanents (pour le rotor), une technologie employée, par exemple, sur la Toyota Prius Hybride. Les dernières recherches tentent de combiner l'architecture Duplex au surpoids par essieu (limité à 17 tonnes par réglementation européenne) occasionné par des moteurs de traction sous les voitures.

L'AGV a pour formule :

Variateur de vitesse
Moteur
Collecteur
Extinction  des thyristors
Rame
Traction
Onduleur à IGBT
Synchrone à aim. perm.
Sans
Commandée
Articulée
Distribuée

Isabelle Saillot, 2004.
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